Coupe Couture

Chez Marcille

marcille


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J’ai 8 ou 9 ans. Petite fille sage, vêtue d’une jupe plissée écossaise et d’un pull-over bleu marine (tricoté à la main) égayé par le col rond d’une blouse blanche, je vais acheter 20 cm d’extra-fort pour faire une ceinture à ma poupée, ou lui mettre un ruban dans les cheveux.
La mercerie, située non loin de chez nous, s’appelle « Les Galeries de Neuilly ». Mais personne ne l’appelle ainsi : on dit simplement « chez Marcille ». Je trouve que c’est un nom qui sonne bien pour une mercerie.
Marcille, c’est le nom des propriétaires du magasin. Il faut croire que la mercerie est un commerce florissant pour faire vivre Monsieur et Madame Marcille, qui ont l’âge d’être mes grands-parents, et leurs deux filles dont l’une, veuve, élève seule ses trois filles.
C’est un magasin tout en longueur, aux murs tapissés d’une multitude de tiroirs en bois sombre. Des comptoirs vitrés laissent voir les cartes de boutons, les dentelles, les rubans. Tout au fond, c’est le domaine de la laine à tricoter. On ne l’éclaire que si une cliente veut en acheter.
C’est Mme Marcille qui s’occupe de moi, avec un sourire un peu attendri et plein de patience, comme la boulangère qui vend des bonbons à l’unité à la sortie de l’école. Elle me traite un peu comme sa petite-fille. Moi, j’aimerais mieux qu’elle me traite comme une dame.

J’ai 15 ans. L’une des petites-filles des Marcille est dans ma classe. Nous partageons le goût pour la couture, mais c’est à peu près tout.

J’ai 20 ans. Je suis étudiante et je fais moi-même mes robes. Cela me détend.
Je vais chez Marcille chercher du fil assorti au tissu que je viens d’acheter. M. et Mme Marcille ne sont plus là. C’est leurs filles et leurs petites-filles qui tiennent le magasin.
Toutes ont un don extraordinaire pour trouver la couleur parfaitement assortie.
Après un rapide coup d’œil sur l’échantillon de tissu, Melle Marcille se retourne vers ses tiroirs de bobines et en sort d’un geste décidé la bobine de la couleur qui convient. Parfois, j’ai envie de choisir moi-même, alors j’émets des doutes : peut-être un peu plus foncé ? peut-être un peu plus vif ? Mais quand elle sort les autres couleurs, je dois reconnaître que c’est elle qui avait raison.
Un jour, c’est mon ancienne camarade de classe (selon le terme de l’époque) qui est derrière le comptoir. Nous échangeons un petit sourire entendu, un peu gêné : nous n’avons pas grand-chose à nous dire.

Depuis, je me suis mariée, j’ai déménagé et je ne suis jamais retournée « aux Galeries de Neuilly ».
Je n’avais pas envie de voir comment le magasin s’était transformé. Sans doute les rangées de tiroirs avaient-elles disparu, remplacées par des présentoirs, en semi-self-service. Y avait-il encore un œil exercé pour trouver du premier coup la couleur de fil ou de bouton appropriée ?

Hier, j’ai vu que la mercerie a disparu, remplacée par une boutique de vêtements.

Pêle-mêle | Publié par sylvie le 28 octobre 2006

Billet d'origine sur http://www.coupecouture.fr
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